La rumeur était née, puis elle avait gonflé. La volubile troupe du théâtre était ce qu'elle était. Et on disait que ses membres croquaient les rumeurs comme les foumis les miettes de pain, ou les thérathans les hommes faits.
Le fil des événements était relaté, gorgé et enflé encore. Il semblait bien qu'un petit scandale avait éclaté, qu'un serf, Egoel, s'en était pris tant à l'Intendante qu'au Ser de Beaumanoir, de l'une pour trop d'insistance, de l'autre par palabres vitriolées. Comme toute action avait conséquence, et de fil en aiguille (ainsi que pourrait le dire la renommée couturière de Borgham)...
Le fouet avait été donné aux yeux de tous, et l'employeure du dit serf, Ser de Feunoyr, avait tenté de s'interposer, courrouçant l'assemblée et chamboulant dans une même foulée l'ordre établi.
Et de cette petite histoire, était donc née une chanson qui circulait. Et la demoiselle de Cyriarcus? Elle n'était point médiatrice, non point de ces conflits là. Elle s'était plutôt amusée avec ses pairs, à créer petite ritournelle qui circulerait de ci de là. La nuit était longue et solitaire. Elle s'était décidée à s'en saisir et à l'occuper, aux côtés de sa troupe, ne serait-ce que pour en combler une heure, qui s'étirait pour elle sur des âges lorsque tombait l'ennui.
Bien fol est celui qui attaque
Immuable Forteresse
Laisse bien quelques marques
D’s’en prendre à la noblesse
C’lui qui d’un mot qui crut jeter bas
Ceux qui s’étaient élevés
De sa parole s’étouffa
Une fois sa chair marquée
Ascertainé de son bon droit
Clâma son employeure
La Ser le vit et décida
Qu’n’viendrait pas son heure
Or en Valcoeur il est un Roi
Il est aussi un ordre
Qui n’obéit sitôt déchoit
Ou bien subit l’opprobre
Le fiel au cœur, le fiel en bouche
Souviens-toi, pauvre homme de peu
Qu’avant que grand mal te touche
De tempérer ton feu
Honni soit donc qui mal pense
Et châtié bien plus avant
Car le Sang Bleu mène la danse
Et coule le Rouge Sang.