Un soldat renfrogné, fourbu de sa longue et glaciale nuit de rondes, poussait un voyageur aux vêtements étranges et colorés devant lui. Il l’avait intercepté près des murailles et son comportement était suspect. Il fallait bien en prendre un ou deux de temps à autres, ça parait mieux devant les officiers... Mais il aurait dû le laisser filer celui-là. Putain, allait-il finir par la fermer ?! Il lui claqua de nouveau son gantelet de fer derrière la tête dans l’espoir qu’il saisisse enfin le message.
— Mais Aie! Butor! Je dis simplement qu’il est infiniment laborieux de vivre au sein de rustres incapables de comprendre la poésie! La musique! Le lyrisme, l’expression d’une âme qui se languis d’éclore et de jaillir au jour!
Le soldat rencontra un autre garde en ronde qui le salua en ricanant dès qu’il aperçut sa prise du jour.
— Las des geôles de son existence grisâtre, l’artiste, Votre Serviteur s’enfuit dès lors, prenant les traits d’un serpent se faufilant ou pire, d'un infect rat répugnant ! Tel un malfaiteur, si! Dus-je dès lors prendre de sinistres chemins parsemés d’embûches et de dangers mortels? Certainement! Ai-je survécu à de telles horreurs ? Optime ! La liberté ! Monsieur. Elle en val -
Le bruit du gantelet se fit entendre de nouveau dans la ruelle silencieuse.
— Mais Aie! Goujat!
— Si tu fermes pas ta grande gueule...! Je te jure, je sais pas ce que je vais te faire. J’ai mal à la tête et tu commences à me faire chier.
— Sire je comprends votre abattement et j’en suis sensible ! Eeeuh... Empathique ! Optime. Si ! Cela dit ne serait-il pas plus profitable, tant pour votre robuste mais fourbue personne que pour ce ménestrel suppliant de simplement faire confiance à l’intrépide récit de mon voyage que je vous ai raconté, - avec moult détails.. Hoho! je dois avouer m’avoir surpassé - et me laisser atteindre l’auberge la plus près où je pourrai mettre à profit mes augustes mais incompris talents et prouver que j’ai ma place dans cette magnifique cité qu’est V-
Le garde hurla. Tremblant de rage, les poings serrés.
— RAAAAAAAAAAH ! Fous le camp ! Avant que je fasse un meurtre ! Chiasse de fot-en-cul! J’en peux plus putain !
— Mais allons j-
Le garde dégaina sa lame.
— FOUS LE CAMP!
Avalant péniblement sa salive, le vagabond s’en fut lentement. Maugréant contre les rustres et autres molles cervelles qui peuplent ce monde.
Arrivé à l’auberge il expliqua longuement, et avec abondance de détails, l’aventure qui le mena à Valcoeur. Il était heureux d’avoir enfin trouvé une personne possédant les sens nécessaires pour apprécier les plus beaux vers et récits. Tout en vaquant à ses occupations, l'aubergiste ne disait mot et faisait preuve d’une politesse exemplaire, écoutant les récits du voyageur en silence, ne l’interrompant aucune fois. Heureux et désormais serein, le ménestrel lui chanta quelques ritournelles avant de rejoindre joyeusement sa chambre.
Huguebert, l’aubergiste, n’avait jamais été heureux d’être sourd avant aujourd’hui.
Artiste flamboyant et aspirant ménestrel, Dante Vivelance (du sobriquet de son chevaleresque paternel) fut toujours le premier à sauter à pieds joints dans l'Aventure avec un grand A. Après tout, ainsi s'écrivent les légendes et les meilleurs récits.
Dès son plus jeune âge, sa famille disait de lui qu'il mourrait très jeune. Impétueux, courageux mais imprudent et ingénu, il brave les pires situations dans le but de "Nourrir la verve du poète et agrainer les coeurs". Et malgré s'être perdu en forêt, être tombé au large, avoir perdu moult duels et failli finir au gosier de sangunaires créatures (qu'il n'a point aperçu), Dante est toujours vivant, contre toute attente. Mais pour combien de temps...?
Un barde arrive donc à Valcoeur, plein de hardiesse, de courage et de nigauderie, pour le prochain chapitre de sa (courte?) vie.
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