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Aegys de Beaurivage - Correspondances

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MessageSujet: Aegys de Beaurivage - Correspondances Aegys de Beaurivage - Correspondances EmptyLun 23 Avr - 1:29
Le domaine d'Ajuntaal - La Fournaise - Quatre ans après l'Alliance

Le domaine du Chevalier Ajuntaal, dans toute son envergure, renfermait certes une foule de concubines et une poignée de gardes. Mais, dans leurs relations si particulières, elles en étaient venues à former une sorte de famille. Certes, profondément dysfonctionnelle et régie par la main de fer dans un gant de fer d’un patriarche intransigeant, donnant à certains membres certains privilèges dont d’autres ne bénéficiaient pas. Cependant, les concubines les plus âgées entretenaient parfois des relations maternelles avec les cadettes, et les plus jeunes semblaient entretenir la même chimie que des sœurs qui n’avaient qu’un seul jouet à se partager. Les jalousies et les affections, les brimades et les grâces, se vivaient ici à plus grande échelle.

C’est dans l’épicentre de cette famille réunie malgré elle par un homme khazar de race mais conquérant de cœur, que la mémoire de mon propre sang me revint. Aegys devait sans doute avoir atteint les 7 ans, à présent, tout juste. C’était l’âge, il semblait, ou les jeunes garçons étaient incités à doucement progresser de l’enfance à l’adolescence, ou la question de leur éducation devenait plus pointue.

Mais comment approcher ce fils que je n’avais pas vu depuis deux ans? Ce fils, qui me présumait reléguée à une vie monacale, et, selon ce qu’il pouvait en déduire du haut de son jeune âge, pour des raisons qui n’étaient pas tout à fait miennes. Ce fils qui m’imaginait dans un recoin de Contrefort, sous l’égide des fins renards que constituaient les Seigneurs goupils. J’étais embêtée par la question, mais outre une famille le harem était un condensé de sentiments humains à l’état brut. Et j’étais bien certaine de trouver parmi les amantes captives, ces conquêtes du chevalier Ajuntaal, ce qu’il me faudrait.

C’est encore une fois parmi les concubines réprouvées que j’imaginais trouver mes réponses. Il était une de ces femmes, Sigrid, qui avait été fait captive lors d’un raid échoué. Originaire du Levant, elle avait été membre de cet équipage qui avait perpétré ce raid raté sur que le chevalier (ainsi que bien d’autres) avaient su repousser. Il avait requis cette femme blonde et fière comme trophée plutôt que des richesses récupérées parmi les farauds qui avaient pris déculottée, et de bonne grâce on le lui avait accordé. Elle s’était illustrée sur son navire, de son temps. Elle avait été respectée, puissante. Mais, surtout, elle avait été libre. Elle était une combattante farouche, m’avait-on rapporté. Une survivante pleine de ressources, qui, malgré les mœurs libérales des lions des mers, avait farouchement préservé sa vertu. Comme bien des hommes dotés d’une miette de pouvoir, le Chevalier était orgueilleux et s’était donné pour mission de la briser.

Ce n’avait pas été facile. Cette femme du Levant en était une désespérément libre. Il l’avait battu, il avait multiplié les avilissements, les privations. Il la prenait de force régulièrement, car en la faisant plier il avait cet impression si précieuse de conquérir : un indispensable pour un homme pétri d’ambition qui ne semblait vivre que lorsqu’il triomphait. Il lui avait assigné une chambre contre la paroi, ne donnant sur l’extérieur que par une zébrure qui aurait été à peine assez large pour un petit enfant maigrichon. On ne savait comment, elle s’était glissée par-là, cherchant d’elle-même à échapper à sa vie de chose, possession du Chevalier. Elle avait réussi, nul ne savait comment, à descendre la paroi escarpée, s’agrippant aux rares prises pour ne pas dévaler des dizaines de mètres en contrebas. C’est une fois sur la terre ferme que des gardes, ayant repéré sa descente, l’avaient appréhendée. Le cœur de sa nature était d’être une survivante.

Les vexations et les tortures, ni même la captivité, ne l’avaient pas brisée. Là ou bien des femmes auraient cherché à mettre fin à leur existence, elle avait attendu son heure avec résilience mais sans résignation, se rebiffant fréquemment et préservant ses énergies pour l’occasion, si elle se présentait, de s’évader.

C’était par cette nature de survivante que le Chevalier était parvenu à la briser. Les viols répétés lui avaient fait porter trois enfants. Tous les trois, des fils, étaient morts peu après leur naissance. Car même malgré toutes les privations et les douleurs, elle leur avait donné la vie, cette vie à laquelle ils s’étaient accrochés jusqu’au bout. Mais, le corps a ses propres limites. Et pour survivre, il doit parfois ménager ses ressources. Ainsi, le lait de Sigrid s’était systématiquement tari peu après la grossesse. À chaque fois, elle avait dû regarder ses fils mourir à petit peu, de faim. Et mortellement, elle en avait voulu à son propre corps comme elle s’en était voulu. Comme chez bien des survivantes, elle avait la fibre maternelle coriace, comme si cette volonté de survivre animait aussi de celle de perpétuer son sang.

Le Chevalier avait joué de cette maternité brisée comme d’une lyre, et il se plaisait à lui rappeler qu’elle lui avait perdu trois fils, qu’il aurait peut-être bien élevés comme les siens, avec fierté. Si elle n’avait pas été si fragile et inapte à les sevrer. Il utilisait cette excuse pour multiplier les vexations, contre lesquelles elle ne se rebellait plus, se contentant de verser et ravaler tour à tour ses larmes.

Mais après quelques années de ce manège, le Chevalier commençait à se lasser de ce jouet brisé. C’est à cette occasion que je vins la voir, au cœur du giron de la montagne, dans l’une de ces pièces fermées au monde et enclavées dans la pierre.

Sigrid était d’une saleté repoussante. Sur son corps entièrement nu, le noir des plaies et le grenat du sang séché se confondait à la crasse. Son squelette presque entier se lisait presque à travers le peu de chair qui lui restait. Les cheveux blonds qui ne lui avaient pas été arrachés ou brulés retombaient, filasses, sur son visage abaissé. Son être entier était affaissé dans un coin de sa cellule, oublié là y compris d’elle-même. Son regard vide était rivé au sol comme si fascinant spectacle s’y déroulait, alors que pourtant on ne trouvait même pas là une vermine pour y rôder.

Lorsque je l’abordai, elle sursauta. Nul ne la fréquentait plus. Même les gardes s’étaient vu interdire ses quartiers, ainsi elle n’était plus nourrie que de temps à autre suivant les caprices du Chevalier. Bien qu’elle ne fut plus que l’ombre d’elle-même, une part de ce qu’elle était s’accrochait. Et moi, l’interdit, le haram des khazars, ne m’avait jamais réellement effrayée. Peut-être car je me sentais au-dessus de ça.

Je m’assied près d’elle. Le foulard que je portais aidait à voiler ma révulsion. Non pas pour sa personne, mais simplement pour l’odeur rance qu’elle dégageait, celles de plaies non-soignées qui commençaient sans doute à se gangréner. Je lui fournis de l’eau, du pain, sur quoi elle se jeta comme l’animal affamé qu’elle était devenue.
Puis nous parlâmes. Aussi abaissée et anéantie que fut cette femme, elle détenait quelque chose qui semblait me faire cruellement défaut. Un cœur de mère battant, et l’émotion sans fard pour ses fils perdus, chose que je recherchais. Il me fallait trouver les mots à adresser à mon fils. Je savais qu’en sa bouche, sans trop d’efforts, je les dénicherais.

Je lui soutins que j’étais autrefois prêtresse des Sept, écoutant les confidences de celles m’entourant, qui se faisaient désireuses d’alléger leur âme pesante. Comme tout mensonge viable, il contenait à tout le moins une moitié de vérité. Je lui demandai de me dire ce qui lui pesait sur le cœur, ce qu’elle espérait dire à ses enfants perdus. Je lui promis que je ferais offrande du vélin ainsi composé, avec une prière, au Fils, garant de la force et du courage dont elle avait bien besoin pour briser ses chaînes, tangibles ou spirituelles.

À défaut de trouver proprement les mots pour illustrer ce qui pouvait m’animer, les sentiments que j’aurais dû exprimer, j’empruntai alors les siens en couchant sur le vélin ce qui deviendrait alors la lettre suivante. J'omis ces idées plus mièvres, plus curieuses, qui ne semblaient pas me correspondre.


Citation :
Mon bien cher fils

En premier lieu, j’aimerais exprimer toute ma contrition. J’ai conscience qu’il soit pesant que nous fussions séparés. Cette condition m’afflige chaque jour, car, à la vérité, chaque jour je pense à vous. Chaque jour, je me permets de penser à votre avenir, ce qu’il est, ou aurait pu être. Mais la réalité me frappe, car je sais qu’à mon immédiate dextre, votre avenir n’aurait sans doute pas été si rieur.

Je veux que vous sachiez que peu importe ce qui nous sépare, vous demeurez en mes pensées et en mon cœur. Si vous consentez, j’aimerais que par ce courrier nous nous trouvions unis, faute de mieux pour le moment. Si je me retrouve ici en vie monastique, au milieu d’autres femmes qui comme moi, confinées, ont leurs journées pour pondérer en ce lieu fermé sur le monde extérieur. Ce temps de réflexion a du bon, offrant le recul nécessaire peut-être pour vous guider. Si vous le voulez, et si les Sept le veulent, vous pourrez me répondre par le biais de ce même messager. Puissent-ils vous veiller. Un jour, sans le moindre doute, nous nous retrouverons.

Votre mère, qui vous aime de tout son cœur.

Et j’avais confié ce pli à un messager payé d’un salaire trois fois plus gras que le mien pour une semaine de garde. Nous ne pouvions pas nous permettre de raté. Il prendrait une nef qui, depuis la Fournaise, longerait la côte de Centreterre jusqu’à arriver à sa destination au Bouclier. Ledit messager était mandaté pour trouver Aegys de Beaurivage. Les explications qu’il pourrait donner étaient laconiques : que le pli lui avait été remis depuis un lot venu d’un monastère du Contrefort avec quelques autres précisions. Il n’avait pu visiter le lieu, très fermé à ceux qui ne comptaient pas parmi les dévoués. Une fois cela fait, il attendrait une réponse, ou l’assurance de son absence, avant de reprendre la mer.

Quant à la femme qui m'avait confié ce pli, une fois ce dernier parti par la mer, elle fut exaucée. Le chevalier, exaspéré de ce jouet brisé dont il était las, l'avait fait exécuter. Elle avait enfin pu, d'une manière, retrouver ses trois fils perdus.
Mirage d'Astrée
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MessageSujet: Re: Aegys de Beaurivage - Correspondances Aegys de Beaurivage - Correspondances EmptyJeu 26 Avr - 4:19
La surprise et l'excitation fut les sentiments du jeune mouflet lors de la réception du parchemin. Bien qu'occuper par les nouvelles tâches quotidiennes qui l'accablaient, il décida de prendre le temps nécessaire pour y fournir une réponse adéquate.

Citation :
Maman,

Je m'ennuie et j'aimerais savoir pourquoi m'as-tu abandonné ? Serais-ce parce que c'est moi qui s'amusa à cacher tes grimoires favoris ou parce que je me bagarrais avec le jeune paysan Miguel ? Pourtant, papa me dit toujours que quand je gagne, je n'ai pas de compte à rendre. Si c'est le cas, je te promets que je vais arrêter !

J'aimerais que tu reviennes, mais dans l'absence de cette solution, j'aimerais te confier ce qui s'est produit depuis ton départ. Pour commencer, quelques jours après ta disparition, Anastasie est venue habiter à la maison. Au départ, je l'ai accueilli avec ardeur et elle m'a bien connue si tu comprends ce que je veux dire. Plusieurs mois après, nous avons formé une sorte d'alliance et avons multiplié les mauvais coups dont le renvoie du précepteur Augustus. Je ne te cacherais pas l'un de nos plus gros, le vol d'une charrette de radis, fut à mon sens le plus énorme considérant la réaction de papa.

Tu connais papa, il a tôt fait de l'expédier hors du domaine et depuis il m'a pris sous son aile comme écuyer. C'est une petite victoire, bien que je regrette le départ d'Anastasie. J'aurais beaucoup d'autres choses à te dire, mais le devoir m'appelle.

Tu me manques et je t'aime.

Ton fils préféré
Invité




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MessageSujet: Re: Aegys de Beaurivage - Correspondances Aegys de Beaurivage - Correspondances EmptySam 28 Avr - 22:23
Malgré les lourdeurs du confinement, les caprices du Chevalier Ajuntaal qui façonnait le quotidien des occupantes de la forteresse, il se trouvait des moments de grâce tant pour les gardes et que la majorité des concubines. Du moins celles qui ne s’étaient pas attiré l’opprobre du chevalier.

Et à cet instant se déroulait l’un de ces jours fastes. Le Chevalier avait été mandé par les autorités de Samarach. Son absence laissait place à une certaine détente parmi les occupantes de la forteresse. Les mœurs étaient plus libérées, les usages plus laxistes.

Les concubines et gardes s’étaient rassemblées ce soir-là en un jardin suspendu. Sur un flanc de montagne, au crépuscule, les femmes de rangs variés se côtoyaient. Les barrières entre gardes et captives semblaient provisoirement tomber, dans ce soudain relâchement permis par l’absence du Chevalier. Le parfum des hibiscus et des glycines, sucré, envahissait l’air. Au centre du jardin, un bassin creusé dans la pierre retenait l’eau dans laquelle certaines plongeraient certainement avant la fin de la soirée. Dans la brunante pâlement éclairée de quelques lanternes, lucioles et phalènes voletaient. La forteresse était bien pourvue en pitances, alcools et surtout en substances pour affuter ou pour émousser les sens. La table était mise pour quelque festivité improvisée, qui permettrait de relâcher les tensions et émotions embouteillées. Et comme en tout lieu confiné et codifié, c’était dans ce court et exceptionnel instant de relâchement que l’on assistait aux plus grands épanchements, aux plus grandes débauches et aux plus grandes querelles. Cela promettait d’être intéressant.

C’est dans ce contexte de préparations à l’effervescence que je pris la décision de répondre à un message délivré quelques jours plus tôt. Je répondrais comme il se devait, m’inspirant de ce qui m’entourait pour écrire. Alors que je sortais plume et parchemin, installée sur un banc de pierre en périphérie des événements, plusieurs concubines et gardes commencèrent à constituer un cercle dans le jardin. Nombre d’entre elles avaient emporté avec elles, pour l’occasion, un instrument. Celles en faveur n’étant privées de rien, on retrouvait des instruments de qualité et d’origines disparates.

La doyenne des concubines, une femme d’un âge que l’on aurait pu croire vénérable, à la peau parcheminée et à la chevelure de neige, prit la liberté de chanter la première. C’était un air mélancolique posé sur une mélodie gaie et légère. Elle racontait son histoire à elle, d’une femme trop vite épanouie, puis vendue après avoir déshonoré sa famille, qui toujours avait eu un penchant pour la bouteille. C’était l’histoire d’une femme forte, qui avait tissé sa propre tragédie avec conviction. J’écrivis le premier paragraphe de la lettre, portée par la complainte mélancolique de cette femme qui avait tout abandonné, y compris sa propre dignité, pour suivre ses passions, sans pour autant qu’elle n’exprimât de contrition.

Alors qu’elle chantait, les cordes lancinantes des ouds et quanun khazars s’entremêlaient aux harmonies raffinées des harpes de Centreterre, aux percussions des clans du Nord, aux flutes des plaines de l’Ouest et aux hautbois et violons du Levant. Les contes mystérieux du désert khazar couchés sur des mélodies gitanes des terres de l’Ouest, les récits de hauts-faits ancestraux et de protection totémique sur des menuets dignes de la cour de Centreterre et des chansons à boire évoquant la richesse et la duplicité des lions des mers couchés tantôt sur les tambours de guerre des barbares tribus des terres claniques ou les mélopées lancinantes khazares se succédaient. Les cultures s’entremêlaient comme les chairs. En cet arrière-pays à flanc de volcan, on avait presque l’impression d’être à la cour de Valcoeur, ou toutes les contrées et les influences se rencontraient sous une même égide. C’est dans cet entrelac, ou les femmes de la forteresse abandonnaient tant leurs inhibitions que leur statut, les gardes se confondant avec les concubines, les femmes devenant indistinctes par leurs ethnies, que le second paragraphe fut rédigé.

Après l’avoir écrit, j’abandonnai un temps le processus de rédaction pour voir la soirée vieillir. Je ne buvais qu’avec tempérance, préférant observer plutôt que de prendre part sur le moment. C’est dans le chaos de pareilles festivités que tous et toutes se révélaient, et j’aimais être assez lucide pour relever les mises à nu des corps, âmes et consciences. Ces révélations cueillies dans ce lascif jardin aux odeurs sucrées nourriraient mes intrigues, un temps. Je savais pourtant que je ne serais pas Kadec éternellement, qu’un jour, ainsi que pour ces femmes montait la fureur du désir de la chair, je ressentirais ce désir de faire peau neuve. Alors que les vapeurs de l’ivresse montaient, que toutes se laissaient peu à peu aller à leurs penchants, je couchai sur papier le mot de la fin.


Citation :
Mon fils bien-aimé,

Je peux comprendre, que l’impression d’abandon vous taraude. En un mot comme en cent, mon départ n’est pas de votre fait, tout au contraire. Vous êtes le seul être qui me fit prendre racine sans que j’en éprouve chagrin. Ainsi, ne portez guère sur votre conscience les grimoires disparus, ou le cas de ce petit Miguel : ces affaires sont oubliées depuis bien longtemps. Comme il s’en trouvait plusieurs pour craindre que mes lassitudes aient pu jeter ombrage sur votre avenir autrement brillant, je présume que la vie monastique peut me convenir, un temps. Je sais cependant que sa réclusion ne me conviendra pas éternellement.

Je sais que ni votre isolement, ni le mien ne dureront. Les épreuves respectives que nous endureront nous rendront plus forts. Je sais que votre père tentera de vous façonner à son image, de son mieux. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Mais certaines de ses qualités peuvent en vérité jouer contre lui. Si je peux vous donner un conseil, c’est d’être votre propre homme, non point celui que d’autres voudraient vous voir être. Sachez que je ne vous découragerais pas de côtoyer votre cousine, ni même de vous emparer d’une cargaison de radis, dans la mesure où il s’agisse là de votre ambition et que vous sachiez en mesurer les conséquences. Non plus, je ne vous découragerais guère de fréquenter qui que ce fut : saviez-vous que les plus réprouvés sont, à la vérité, les plus loyaux et les plus redevables si vous leur accordez faveur. Alors que le monde se tourne contre eux, ils cherchent alliés et à jamais demeurent redevables à qui leur a tendu la main dans l’adversité. Sachez aussi que si d’autres vous feront la leçon pour le larcin, la morale est extensible, et suggestive. Ceux qui codifient leur existence se limitent. Peu importe la direction que prendront vos précepteurs et votre père, j’espère que vous saurez préserver votre esprit ouvert, affuté et aventureux.

Vous me manquez aussi, et je sais qu’un jour, mon noviciat achevé, nous nous retrouverons.

Votre mère

PS: Cælum non animum mutant qui trans mare currunt.
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MessageSujet: Re: Aegys de Beaurivage - Correspondances Aegys de Beaurivage - Correspondances EmptyJeu 3 Mai - 17:17
Le temps avait passé.

J’avais envoyé quelques lettres, par-ci, par-là. Le rôle de mère docte ne m’avait jamais collé à la peau, trop aventureuse ou fantasque que j’étais, il semblait, pour poser l’interdit. À travers mes missives, je tentais d’inculquer à son fils les rudiments des intrigues, qui pouvaient parfois aller à l’encontre de ses premiers instincts de jeune homme de la noblesse, élevé dans les stricts préceptes de la Chevalerie.

J’incluais avec son courrier, parfois, quelques petits cadeaux glanés ici et là au fil de mes voyages. Je prétextais qu’il s’agissait là de petits présents faits aux nonnes et moines des Sept par des pèlerins. Et j’espérais que, dans sa candeur d’enfant et dans sa curiosité possible au monde, son envie de luxe et son attrait pour icelui, il ne se poserait point trop de questions.

Mon périple m’avait amenée de la Fournaise à Samarach, ou j’étais restée plus longtemps que prévu, pour y avoir été heureuse. Puis, presque à contrecoeur j’avais cheminé vers les provinces de l’Ouest. Le mot « province » venait de l’ancienne langue conquérant. À sa racine, il signifiait « pour les vaincus ».

En m’en allant vers ces territoires assujettis antan par la nation Conquérante, toujours vouée à n’être que la lointaine périphérie de Centreterre et de Valcoeur, j’espérais encore une fois changer de peau. J’avais l’œil sur ce petit passage à flanc de montagne depuis Bellac que moult disaient impraticable, pour me rendre vers Centreterre. Bellac avait aussi son attrait : au contraire de la notion indiquée par son nom, ce fief n’était point sis sur un lac. Et dans ce fief qui, lui aussi semblait mentir sur son identité, j’imaginais pouvoir faire encore une fois peau neuve. En ce cas-ci, regarder de l’autre côté du miroir, voir les choses sous un angle qui m’était jusqu’alors inconnu. On disait en ce temps que certains, en les seigneuries de l’Ouest, le statut  de provinciaux, de vaincus, avait perdu de l’attrait. Que certains fomentaient, et que dans le calme paisible des plaines, on pouvait espérer trahisons, renversements et complots. J’étais là pour ça.

Je m’affublai du patronyme « Ouest », celui des bâtards de la région, et me présentai ainsi. En adoptant le nom d’une bâtarde, d’une paria, je pavai ma voie à l’invisibilité, que je parachevai de l’absence de statut : mon hâle acquis plus au sud évoquait ici la paysannerie. Je ne tardai pas à finir à l’embauche d’une maison notable ou l’autre, à titre de servante. Et comme en certains cas, selon la commodité, les servantes étaient interchangeables, et échangées entre les maisons nobles, je profitai de cette invisibilité nouvellement acquise pour apprendre, écouter. Écouter les confidences sur l’oreiller, de ces couples qui voulaient être présentés de quelques fruits ou de vin après (ou même pendant) leurs ébats. Écouter, ces aveux faits aux banquets, durant le service. Écouter, ces propos tenus à mi-voix dans les alcôves ou l’on voulait toutefois se faire resservir, pour avoir le gosier sec à force de murmurer.

Je fis suivre ces informations glânées en bonne direction. Mais après un an, j’en eus assez des vexations et des soufflets. Etre subalterne, ainsi commandée, présumée sotte pour avoir été mal née, m’était très difficile à porter. D’autant, après tant d’années, j’étais grisée par l’indiscutable liberté que j’avais goutée, de l’Augure à Beaurivage, de la cour d’Ajuntaal à celle des Jâhan.

Un soir je me sauvai, après un an de ce manège. Non pas guidée par le désir de préserver quelqu’un, comme je l’avais fait pour mon fils. Non à regret, comme je l’avais laissé il y a peu à mon dernier amant. Non pas par dépit de n’avoir rien trouvé. Mais par lassitude de l’impuissance, de l’invisibilité. La vie et les hommes étaient cruels, envers ceux qui n’existaient guère, ou à qui le rang faisait défaut. Sans doute devait-elle être vécue à petites doses.

Pour m’enfuir, je pris un risque, depuis Bellac. Je privilégiai la passe qui longeait ce faux lac, ce marécage qui brillait comme un miroir, laissant présager un lac d’eau claire qui n’était en fait qu’une étendue peu profonde d’eaux infectieuses. La zone était infestée de monstres, sans doute, à commencer par les vermines et les moustiques. Je voyageai de jour, tapie contre la pierre de la montagne, évitant la tourbe ou j’aurais pu perdre pied et y rester. J’eus beaucoup de chance, mais je voulais gouter le risque comme j’avais gouté le privilège. Pleinement.

Je ne sais trop comment j’aboutis en un morceau à Centreterre. Ni comment je pus achever mon chemin depuis la passe étroite jusqu’à Contreforts. Mais je sais que je parvins aux portes du Monastère de Contreforts pour demander asile. Et que je m’effondrai là, après avoir cogné. Dans ma tenue rustre, éprouvée par une traversée dite impossible, maculée de boue comme de sang.

J’y restai sept jours. J’en dormis trois, d’une traite, remise sur pied peu à peu par les moines et les nonnes des Sept. Je restai Sept jour, autant qu’il y avait de dieux en leur panthéon. J’en passai trois autres en convalescence, à discuter théologie avec ceux qui venaient me visiter. Et au Septième, comme l’Étrangère, je m’éclipsai. Non sans avoir fait passage aux archives. Je n’avais guère qu’écrit en secret depuis un an, à titre de servante soit-disant illettrée. Cette fois ne ferait pas exception. Seulement, je n’avais écrit ici qu’une ligne. Mon nom de naissance et de mariage, Séverine de Beaurivage, et, bien sûr, mes dates d’entrée et de sortie au noviciat du Monastère. En ce cas, il ne s’agissait pas de Sept jours. Mais, de Sept ans.

J’étais libre, et, sur papier, officiellement Prêtresse des Sept. Mon corps tuméfié me permettait d’avancer uniquement lentement, dans les robes pâles brodées des sept fils de couleur, représentant chacune une divinité, dans une démarche qu’on attribuerait peut-être à une sagesse posée, désinvolte, de ceux à qui sont venus les révélations célestes.

Ainsi, j’errerais à Centreterre, confesseure et conseillère des consciences tourmentées, qui à défaut de savoir qui interroger, se tourneraient vers les dieux. Ma première envie fut d’écrire à mon fils, dans l’espoir de le revoir. Je lui donnai rendez-vous à la Plaine, espérant que son père n’intercepte pas ce pli. Je savais qu’il n’autoriserait certainement pas mon fils, son fils, à me revoir. Mais, comme il avait de mon sang, j’avais l’impression que l’interdit avait peu de sens pour lui, et ne l’empêcherait de rien.
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MessageSujet: Re: Aegys de Beaurivage - Correspondances Aegys de Beaurivage - Correspondances EmptySam 5 Mai - 8:21
Il était de coutume, au sein du culte des Sept, de laisser les rites funéraires à un septon ou une septa venue de l’Étranger. La commune voisine, même, convenait très bien. Pour peu que le prêtre ou la prêtresse fut en exode même de quelques kilomètres, cela faisait bien l’affaire. Car c’était l’Étranger après tout, qui venait cueillir les âmes défuntes.

Les rites, donc, qui nécessitaient le rôle du funeste passeur nécessitaient donc de bonnes âmes dévouées, prêtes à l’errance et l’exode, pour célébrer ces ultimes bénédiction des condamnés (qui ne manquaient pas, en ces lieux ou seigneurs et chevaliers tendaient à se faire justice ainsi qu’ils l’entendaient, ou les maux divers emportaient abruptement, quand ce n’était pas la faim, les révoltes réprimées, les complots étouffés ou l’absurdité du destin). Les verdoyantes contrées du centre du monde n’étaient guère reluisantes que vues depuis le lointain des provinces.

C’était ce que j’étais. Funeste septa, perpétuelle Étrangère. Confidente bien souvent, des dernières volontés, des folles initiatives et d’ultimes secrets qui s’emportaient dans la tombe. Ma robe brodée de sept fils de couleur avait sa dominante note noire, qui le laissait deviner.

Ainsi, de seigneurie en seigneurie je voyageai. Je profitai des bonnes grâces de ceux qui allaient mourir, et de ceux qui présumaient voir leur fin imminente. Ceux aux projets fols, qui suppliaient le divin de leur prêter un peu de chance. Je les absolus tous. Mon cœur étant vaste, mon oreille encore plus. L’Étranger reconnaissait les siens.

Sous couvert de piété et de pureté, mes pieds foulèrent le sang cru s’écoulant des dallages, et les planchers des lieux les moins avouables.

Ainsi, mes périgrines m’amenaient parfois au bordel, que les âmes souffrantes et moribondes éclusent plus que les Temples, en quête d’une ivresse plus grande encore que celle que fournit les tavernes. J’avais maintenant coutume de me fondre dans le décor sans tout à fait en faire partie, comme cet élément qui accrochait le coin de l’œil. Le prud’homme, pieux paladin de passage, lui, écorchait la rétine. Le voyant passer en ce lieu de débauche, je perçus invitation pour suivre discrètement ses traces.

C’était l’homme de la trempe à ne retirer son armure parée de dorures et de précieux métaux qu’en absolue nécessité. Quitte à boire sa soupe par la fente de son heaume. Mais pour satisfaire ses élans du moment, nécessité faisait loi, plus brutale que le boire et le manger.

Je le suivis, donc, jusqu’à une alcôve. L’autel devant lequel il s’agenouilla était fait de chair et de sang. Et, départi de sa perpétuelle carapace, il se vit tout dévoué, sans théâtralité ni esbrouffe, tout à la Fille qui s’offrait toute entière à sa voracité. Avec plus de dévotion qu’en un rite ou une messe, il semblait rendre cet hommage qui tout entier le gonflait et l’obnubilait.

De sa lame, il en avait occis plus d’un, sous un prétexte ou l’autre. Le courroux divin étant arbitraire, il avait opté pour le déterminer. Comme Passeuse, nombreux, de son fait, avais-je vu passer, sanglotants, brisés, face à son non-visage armuré, muré dans l’inexpression que confère l’immuable métal. Dans sa vindicte, il n’était ni le Père, ni la Mère, ni le sage Aïeul, certainement pas le fils, et non point l’Oncle. Il était autre chose, qui se façonnait du pur courroux, de la crainte des uns et de l’opportunisme des autres. Je n’étais peut-être pas tout à fait prêtresse, autrement que sur papier, mais il me dérangeait.

Ainsi, l’Étrangère, surtout à lui, eut une idée.

Son armure, laissée dans une alcôve, prenait pour une rare fois la poussière. Il retrouva son casque envolé, son haut et luxueux cimier entouré d’ailes célestes avait de lui-même pris son envol. Et, pis de tout, cette pièce délicate qui protégeait la fourche des coups malencontreux. De même que la splendide et massive améthyste qui parait son cœur comme un écrin, afin d’en compenser l’absence, entouré de splendides engravures en sept branches.

Le casque à cimier infusé de métaux précieux avait été laissé sur le pas d’une maison de nécessiteux. Par un coup du sort, un caprice du destin, de l’Étranger qui serait loué, il leur serait assuré un ordinaire meilleur, peut-être de s’extirper de la misère crasse qui définissait leur quotidien. Dans les larmes de liesse, les Dieux seraient loués. Quant au joyau… il eut une autre finalité.

Citation :

Mon bien cher fils,

J’ai eu vent de vos prouesses sur le champ de bataille. Je suis fière de vous, et j’aimerais vous offrir ceci. Je sais que vous porterez cette gemme en votre harnois, bien mieux que ceux qui l’ont fait avant vous. Elle s’assortira à merveille à vos éperons d’or.

Le prud’homme ressortirait fulminant du bordel, dénudé là de son armure ou ce lui était le plus douloureux : en l’entrecuisse et du visage. Ainsi, il serait reconnu, et porterait l’opprobre pour certains de ses propres actes. Il fulminait, mais sans doute ne presserait-il pas l’affaire, guère fier du lieu et contexte où il devrait se décrire, brisant son masque soi-disant irréprochable et la morale supériorité qu’il se prétendait.

Et pour adorner son blason, mon fils, désormais chevalier en lieu et place de son père, aurait joyau gagné ainsi que je savais le faire.
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MessageSujet: Re: Aegys de Beaurivage - Correspondances Aegys de Beaurivage - Correspondances EmptySam 5 Mai - 8:45
Valcoeur – Huit ans après l’Alliance

Valcoeur était une cité pleine de promesses, mais aussi emplie de détresse. Malgré la liberté des mœurs et des vagabondages que m’accordait le rang de Septa, il me semblait manquer quelque chose. En toute facette de mon existence, l’abysse de l’ennui et de la morosité avait guetté, prête à m’avaler. J’aimais la liberté, farouche, et l’absence de ce que je pouvais anticiper. Or, la vie d’écclésiastique avait ses moments de flottement.

Un jour que je contemplai mon sort avec chagrin, je remarquai une petite boule de tissu au bord d’une fontaine, laissée là bêtement comme un paquet de lessive oubliée. Je n’en fis pas grand cas, mais le paquet de linge m’étonna en relâchant un mouvement. Je vins voir, de plus près. C’était une petite chose emaillottée, faible d’avoir pleuré et vagi, faible de n’avoir pas, des heures durant, été entendue ou pour avoir été sciemment ignorée par les passants. La faim était galopante au sein de la plèbe des grandes cités, et les abandonnés n’étaient pas rares.

Je m’assied près de la petite chose. Entendant allier ma morosité à la sienne comme Passeuse, prêtresse de L’Étranger, cherchant à jauger quand le soleil et l’épuisement lui feraient pousser son dernier souffle, si gamin malveillant ne la poussait pas dans la fontaine pour le noyer avant que le temps ne fit son œuvre. À moins que je ne me fis moi-même instrument de ce destin joué d’avance, sitôt que la mère avait décidé d’avorter sur le tard de ce rejeton venu trop tôt, ou qui ne la satisfaisait pas. Mais quelque chose, après que je me fus installée, me fit changer d’avis.

Je contemplai la petite chose fragile. J’aimerais vous dire que c’était mon cœur de mère, qui palpita. Peut-être l’était-ce? Cela me donnerait le beau rôle, même si c’était plus complexe que ça.

Les yeux de la petite chose étaient d’un carmin profond.

Je m’en fus vivement à l’auberge. Je ressortis vêtue non pas de la robe à sept fils de prêtresse et témoin des existence. Mais, vêtue ainsi qu’une noble de Valcoeur, dans la richesse et la dignité que cela imposait, de ceux qui façonnent les destins plutôt que d’en être placides témoins, mais agrémentée d’un voile de veuve masquant mes traits. Je pris le nourrisson contre mon giron, et le portai, vers un lieu que je connaissais comme un pensionnat.

Je sortis pour l’occasion le meilleur et le plus raffiné langage qu’il m’était donné d’avoir. Usant de ci de là d’anciennes locutions Conquérantes, et usant de temps de verbe d’un passé dit plus simple, que le langage courant boudait à présent.

Je gardais usuellement réserve en mes palabres, même en m’opposant au fil d’argumentaire, mais cette fois je ne fis preuve d’aucune retenue. Comme celui usant d’un canon contre une mouche, la nourrice tenant le lieu fut littéralement écrasée sous le flot de palabres que je lui assénai, elle, nourrice prise au dépourvu, l’achevant du même coup d’une bourse d’économies acquises, d’une confession à l’autre. Là ou j’irais, la fortune me serait un fardeau plus qu’une chance. Je demandai qu’on élève cette enfant (une fille, j’avais pris peine de vérifier) avec toute la dignité et les honneurs possible, qu’on lui trouve bons précepteurs. Malgré les apparences, elle était de sang bleu. On me crut, sans douter un instant.

Un jour, peut-être, cette enfant serait découverte, comme l’illégitime, de tel ou tel pauvre seigneur qui avait eu ses volages instants. Un jour, cette enfant dont le regard écarlate qui signifiait le malheur chez nous, aurait son usage.

Un jour, le malheur des uns ferait le bonheur des autres.

Même après avoir rejoint l’équipage de L’Augure, comme j’entendais le faire ce jour-là, j’enverrais des versements réguliers au pensionnat. Si j’avais appris quelque chose depuis ma tendre enfance, au sein de la famille Cahorsin, c’était bien qu’investissement n’était jamais perdu.
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